Le commerce équitable doit être
transparent et donner aux consommateurs une vision claire pour être à la
hauteur des changements qu’il réclame. Il est également normal qu’un débat soit
ouvert sur les moyens d’être le plus efficace possible pour les producteurs
impliqués, et notamment sur les canaux de distribution. Cependant, quel crédit
donner à une « enquête » menée par C. Jacquiau, dont le manque
d’impartialité laisse penser que le verdict anti Max Havelaar a été écrit à
l’avance.
1. Une manipulation des chiffres
Le taux d’intérêt de 12% proposé
par les partenaires de Max Havelaar aux producteurs (p.118), est à mettre en
rapport avec les taux pratiqués par d’autres acteurs dans le commerce
« traditionnel » (taux non mentionnés et sans commune mesure avec
celui ci..), mais il n’est également fait mention que du taux nominal et non du
taux réel (nominal – inflation). Afin de juger du caractère
« exorbitant » de ce taux, il est possible de le comparer avec ceux
pratiqués par la Grameen Bank,
dont le fondateur vient d’être nommé Prix Nobel de la Paix, et qui fait référence en terme de
micro finance. En comparaison avec les 15-20%, et en tenant compte des
spécificités de chaque pays, on pourrait en conclure que les taux Max Havelaar
ne sont pas si inéquitables que ça, sauf à supposer que le « Pacte avec le
diable (Danone)» conclu par la Grameen Bank la
fait passer du côté du Mal…
L’évaluation actuelle des
monnaies (p.118) n’est pas en soi une indication du coût supportée par les
producteurs, cette différence serait significative si les prix M.H avaient été
fixés au moment du « dollar fort » et non réévalués depuis. Il est
néanmoins aisé de connaître la signification des chiffres et d’en donner une
interprétation différente…
Démontrer qu’il faut 49 jours de
« travail équitable » (p.261) pour permettre à un paysan de se
payer un paquet de café, soit. Cependant, en comptant les 4€ mensuel supplémentaires
qu’il a lui même calculés, et 3€ pour un paquet de café, moins d’un mois serait
suffisant. Mais surtout, cette analyse fait abstraction des différences de
niveau de vie (cf. infra).
Les charges de publicités ne sont
pas à considérer comme des charges (p.215) et donc a rapporter aux revenus
présents, mais plutôt ici comme des investissements dont profiteront les
producteurs dans le futur via la généralisation de l’équitable (principe
comptable des amortissements…).
2. Fonctionnement du Commerce
Equitable
Certes, le fait que les paysans
doivent payer pour être labellisés, un coût que n’ont pas les autres
producteurs est une « absurdité » (p.116), et la proposition
d’ « inverser la réglementation » est bonne, mais la
responsabilité n’est pas à mettre sur le compte de M.H. mais du fonctionnement
du commerce traditionnel !
Une des règles de base d’un audit
(que devrait connaître l’auteur) est la présence sur le terrain afin de
confirmer certaines informations obtenues, on voit ainsi rarement KPMG réaliser
une clôture des comptes uniquement depuis ses bureaux de La Défense. Comment parler de
ce sujet, et notamment des conditions de vie des paysans… sans même les avoir
vues ? Difficile à justifier ! il en découle une méconnaissance des
réalités locales, telles que la différence de la valeur de l’argent entre un
pays développé et un pays du Tiers Monde.
Pourquoi ignorer la réalité de la
différence du coût de la vie entre les pays producteurs et la France? Annoncer que l’augmentation
de leur rémunération (4€/ mois) leur permet a peine de se payer un cappuccino
(p.162) ne peut avoir pour but que de fausser les repères du lecteur. Il serait
ainsi possible de dénoncer le prix de vente du livre de M. Jacquiau comme
exubérant car représentant 6 mois de salaire d’un producteur de café, tout
comme le salaire d’un commissaire aux comptes lui donnerait les moyens d’un
millionnaire dans un pays du Tiers monde.
Pourquoi reprocher à Starbucks
ses actions sociales telles que celle menée avec les Restau du Cœur ? Il
est reproché d’être « excentrés » « comme la misère qui fait
détourner le regard » (p.167), mais il ne font la que s’adapter a la
situation actuelle et c’est a notre société qu’il faut reprocher de rejeter ses
pauvres. Pourquoi encore reprocher a cette initiative de se faire de manière
assez confinée, et dans le même temps critiquer l’excès de communication sur
les actions menées ? Belle proposition enfin que de proposer « d’ouvrir
les salles des Starbucks à ceux qui ont froid » (p.168), mais devrait on
donc demander quiconque faisant un don à une association humanitaire, de plutôt
accueillir chez lui les personnes dans la misère… ?
Les Magasins Artisans du Monde
ont leur raison d’être dans l’implication militante et dans la recherche de
meilleures relations commerciales. Cependant, le mode de fonctionnement, avec
des bénévoles, est-il vraiment équitable et durable ? Pas sur. De plus,
s’ils constituaient le seul canal de distribution, les volumes seraient bien
moindre… réduisant d’autant le nombre de producteurs en profitant.
Enfin, réclamer un commerce
équitable Nord-Nord est tout a fait justifié. Cependant, Max Havelaar ayant
choisi de se concentrer sur les producteurs du 1/3 Monde, c’est a dire dans une
misère extrême, ce n’est pas forcément sur eux qu’il faut se reposer. En
revanche, les AMAP (p.446) et autres initiatives de rapprochement entre les
paysans de nos régions et les consommateurs dont des exemples à suivre et à
développer… notamment en tant que consommateurs.
Jacquiau relève tout d’abord que
certains acteurs de l’équitable sont tentés par la grande distribution pour
augmenter les débouchés. Il tente de démonter cette argument en citant B. de
Boischevallier à propos de producteurs qui n’écoulent pas leur production
« […] par manque de marchés … » (p.264), or c’est bien de cela qu’il
s’agit, les réseaux « alternatifs » n’offrent pas de débouchés
suffisant pour sortir le commerce équitable du confinement.
Dans un long plaidoyer sur le
petit paysan que le « Méchant Max » enfermerait dans son statut de
« petit producteur équitable » (p.272 ), sans aucun espoir de
changer, d’évoluer, voire même bouger un petit doigt, le « gentil
Jacquiau » oublie (malgré sa longue enquête sur place….) bien des
initiatives qui ont justement pour but de les aider à investir, s’équiper et
ainsi retenir sur place un peu plus de valeur ajoutée.
Notre cher auditeur reconverti
dans l’équitable dénonce « l’équitable [qui] reste un produit de
luxe » (p.306 ), en effet les produits équitables sont plus chers que
la moyenne (mais restent moins chers que le « haut de gamme »). Les
raisons sont principalement leur qualité et la prime équitable. Le grand écart
de Mr Jacquiau est ici impressionnant : après avoir vigoureusement
critiqué l’équitable qui n’intègre que le produit et non l’ensemble de la
filière (transport, distribution) il s’attaque désormais à son prix élevé. Il
ignore donc ici (volontairement ?) que plus d’équité tout au long de la
chaîne (ce qui serait souhaitable) réserverait de fait ces produits à une
élite.
Puisqu’il s’agit de critiquer à
tout prix le « Système Max » ? Mr Jacquiau en vient à critiquer
la polyculture (p.385 ) En mode « Jacquiau » ce serait
l’aveu que le commerce équitable n’assure pas de revenu suffisant ? Il
s’agit pourtant bien d’assurer l’indépendance des producteurs leur permettant
par exemple de renforcer leur position de négociation puisque leur survie ne
dépend pas uniquement de leur vente de café.
Jacquiau met en avant « l’absence
de repères et la prolifération d’entreprises se réclamant du commerce équitable
[qui] perturbe la perception » (p.434 ). Il milite donc indirectement
en faveur d’un label (M.H., bio équitable ou autres), ou d’une norme permettant
de se rattacher à un ensemble de critères. L’hégémonie de MH peut être
critiquable en cela qu’il focalise l’attention et peut nuire à la concurrence,
il n’empêche qu’il facilite la lisibilité du marché.
3. De l’objectivité de l’auteur…
Comment pourrait on croire à
l’objectivité de « l’enquête » quand elle est truffée de traces d’une
rancune envers Max telle que « une histoire que l’on raconte depuis des
années chez max Havelaar, toujours la même… » (p.262 ).
Peut être conscient de certaines
faiblesses dans ses raisonnements, Monsieur Jacques pratique la manipulation
des chiffres, annonçant ainsi sans se démonter une baisse du prix payé au
producteur de 7 000% (p.18), soit -69€ pour un prix initial de 1€…
Quand il n’y a pas de chiffre à
manipuler, la méthode utilisée est la généralisation à partir de l’expression
d’une opinion. Annoncer que « Starbucks n’est guère apprécié pour ses
méthodes sociales » aux Etats Unis n’est aucunement vrai pour quiconque
ayant pu le constater par un séjour prolongé aux USA. De la même façon, l’usage
fréquent de l’anonymat permettant de faire dire ce qu’on veut à qui l’on veut…
laissant planer des doutes sur la véracité de ces propos.
Le titre devrait s’intituler
« Guide pratique de la critique de Max Havelaar », pourquoi dans
l’analyse du commerce équitable, ne pas faire une analyse également détaillée
des pratiques des autres acteurs, par ailleurs cités comme « sources
sures » ? (Le bio équitable n’impose par exemple que 25% d’équitable
minimum contre 50% pour Max Havelaar…).
L’utilisation de source variées
enrichit forcément un ouvrage, cependant, peut-on considérer que tout source a
la même valeur ? comment considérer par exemple un mémoire de maîtrise
d’IUP, il peut être valable, il peut aussi manquer en apparence de solidité.
Le lecteur ne pourra montrer sa
surprise, la page de couverture n’annonce-t-elle pas elle même son
contenu : « mensonges et vérités sur un petit business qui
monte ». Et on y retrouve en effet quelques réflexions intéressantes,
noyées au milieu de mensonges, médisances et manipulations. Dommage donc qu’au
lieu de mener une analyse sérieuse du secteur, porteuse d’améliorations, on
doive se contenter de ce qui ressemble plus à la vengeance d’un homme piqué au
vif (se serait il fait éconduire par Max lors d’une demande de
collaboration… ?)